Il est important de présenter la Loi Macron, avant d’analyser les effets qu’ont eus ses mesures sur la profession notariale.
Présentation de la loi Macron sur la profession de notaire
La Loi Macron a beaucoup fait parler d’elle, tant par son ampleur que par le soulèvement qu’elle a créé. Il aura en effet fallu plus de huit mois pour que le projet soit définitivement adopté, avec un nombre d’articles qui a triplé, plus de 10 000 amendements déposés, plusieurs recours à la procédure « du 49-3 » et la saisine du Conseil Constitutionnel.
La loi a impacté tous les pans du droit puisqu’elle a modifié le droit des sociétés, des affaires, du travail, de la concurrence, de la distribution ou encore de la consommation.
Certains secteurs d’activités ont été plus touchés que d’autres, ce qui est notamment le cas des professions réglementées dont fait partie le notariat.
L’objectif de la loi Macron
L’objectif principal de la loi concernant la profession était la modernisation de l’économie, à travers :
– Une offre de prestations moins onéreuse ;
– Une ouverture des professions à la concurrence plus marquée ;
– La réduction des inégalités géographiques permettant de répondre aux besoins en termes de nombre de professionnels sur l’ensemble du territoire ;
– Le développement de l’interprofessionnalité.
La loi a impacté les notaires à deux niveaux : une série de mesures a modifié l’exercice même de leur activité, tandis qu’un autre volet a prévu des modifications liées à l’ensemble des professions réglementées.
Principales mesures
Il est important de connaître les mesures impactant le notariat pour comprendre la réaction de la profession :
– La liberté d’installation dans les zones où l’implantation paraît utile : L’article 52 de la loi réforme profondément le mode d’exercice des notaires ainsi que la concurrence. En effet, jusqu’alors, la création d’un office était presque inexistante. Un jeune diplômé souhaitant s’installer devait racheter des parts d’un office existant ou attendre le départ en retraite d’un notaire installé. Le nombre de notaires exerçant en individuel ou en tant qu’associés dans une structure notariale était donc très peu sujet à fluctuation. La liberté d’installation a donc considérablement changé la donne.
En parallèle, de nouvelles conditions de nomination ont été instaurées en élargissant l’accès.
– Réforme des tarifs : Ont ainsi été instaurés une modération et un encadrement des tarifs des professionnels, visant à atteindre des « coûts pertinents et une rémunération raisonnable », la possibilité pour le notaire de faire des remises, et le plafonnement des émoluments perçus dans le cadre de mutations immobilières.
En pratique, les nouveaux tarifs n’ont baissé que de 1 à 2% et les conditions d’application des remises en limitent fortement la portée. Ainsi, seules les transactions de faible valeur sont avantagées par le plafonnement des mutations immobilières, en évitant des frais disproportionnés par rapport au bien concerné.
– Limite d’âge : Les notaires qui atteignent l’âge de 70 ans doivent cesser leurs fonctions, afin d’assurer un renouvellement dans la profession.
– Règle du « un pour deux » : Un office individuel ne peut salarier plus de deux notaires, et un office notarial personne morale ne peut salarier plus du double de notaires qu’elle ne compte d’associés. En parallèle, les clauses de non concurrence des notaires salariés sont réputées non écrites.
Ces mesures ont provoqué une vague de panique et d’indignation chez les Notaires, et les instances ont procédé à une vaste campagne médiatique visant à contrer le projet de la Loi Macron. Jean-Luc VOGEL, Président du CSN à l’époque, a multiplié les allocutions publiques en insistant sur l’impact négatif qu’aurait la Loi sur la profession.
Loin des soulèvements rencontrés par les mesures citées ci-avant, d’autres changements liés aux structures d’exercice et à I’interprofessionnalité ont vu le jour sans faire de vagues.
Ainsi, l’article 63 de la Loi Macron autorise les notaires à exercer leur activité sous toute forme juridique, tant qu’elle ne leur confère pas la qualité de commerçant, et sous conditions.
Nous pouvons également citer l’article 65, qui a instauré la possibilité de constituer des sociétés pluriprofessionnelles entre notaires et d’autres professionnels du droit ou du chiffre, tels les avocats, les huissiers ou encore les experts-comptables. Ces sociétés doivent respecter des conditions de détention du capital et des droits de vote ainsi que des conditions liées à l’administration de la société. Il convient donc de se pencher au cas par cas, en fonction des professions. En l’espèce, les associés notaires doivent détenir, directement ou indirectement, la majorité du capital et des droits de vote.
Enfin, l’article 67 de la Loi a assoupli le régime des SPFPL, rendant le recours à cette structure plus aisé.
Même en nous limitant aux principales mesures impactant le notariat, il apparaît évident que la Loi Macron a profondément remanié les conditions et les modes d’exercice de la profession. Pour bien appréhender les conséquences de cette loi, il convient à présent d’analyser l’impact de cette dernière sur l’environnement notarial.
Analyse de la loi Macron sur l’environnement notarial
L’adoption de la Loi Macron étant récente, il n’existe pas encore de données exhaustives permettant de mesurer son impact. Nous avons donc synthétisé ci dessous des données « avant » et « après » la loi afin d’apporter des éléments de réponse.
Nous constatons que le nombre total de notaires a nettement augmenté entre 2015 et 2018, tout comme le nombre d’offices et de sociétés. Cette évolution est le résultat des objectifs fixés conjointement par l’Autorité de la Concurrence et le Ministère de la Justice, à savoir l’installation de 1 800 à 2 300 nouveaux notaires libéraux à l’horizon 2024.
Un système de lissage a été mis en place afin d’assurer une progressivité dans l’installation. On parle alors de vagues d’installation :
– La première vague a eu lieu entre 2016 et 2018 et prévoyait un objectif de 1 650 nouvelles installations. Fin 2018, cet objectif avait presque été atteint, avec moins de 300 offices restant à créer.
– Une seconde vague est en cours et s’achèvera au printemps 2020, avec un minimum de 733 nouveaux professionnels à nominer, dont 479 créations d’offices prévues.
– En 2024, si les objectifs sont atteints, les principes de libre installation et d’installation contrôlée instaurés par la Loi Macron auront permis à près de 3 900 notaires créateurs de s’installer.
La nomination massive de nouveaux indépendants représente une hausse significative dans l’environnement du notariat. Cette concurrence accrue représente un risque pour les offices existants qui doivent faire face à une potentielle perte de revenus, mais également à d’antres dommages collatéraux liés à ce changement.
Impacts sur la valorisation des offices
La valorisation des offices existants est une problématique importante pour les notaires de l’ère pré-Macron. En effet, jusqu’en 2015, le seul moyen pour les notaires de s’installer, était soit de racheter les droits de présentation d’un office individuel, soit de s’associer au sein d’une société notariale. Dans les deux cas, l’installation était très onéreuse, et entrainait dans la majorité des cas un endettement lourd pour le nouvel entrant.
Or, avec l’instauration de la liberté d’installation, les créateurs n’ont pas à s’acquitter de quelconque droit, ni à racheter de titres. Cette situation pose un problème aux associés en fin de carrière qui ne pourront plus valoriser leur droit de la même façon. Elle crée également une disparité importante entre les notaires récemment associés ou ayant racheté un office, et qui sont donc très lourdement endettés, alors même qu’ils sont dans une situation similaire à leurs homologues de l’ère post-Macron.
Pour le moment, la question ne se pose pas beaucoup, car les nouveaux offices sont en phase de développement, et présentent donc une valeur largement inférieure aux offices historiques. Cependant, cette problématique risque de revenir de plus en plus souvent dans les années à venir, avec le développement des offices créés à partir de 2016.
Impact sur l’organisation des offices
La Loi Macron est également source de changement au niveau de l’organisation interne et des politiques de développement des offices existants.
D’une part, il existe un risque de fuite des notaires salariés qui peuvent candidater librement pour s’installer à leur compte. D’autre part, les nombreuses créations engendrent des problèmes de recrutement, car le marché de l’emploi du notariat est déjà extrêmement tendu avec très peu d’offres. Les créateurs embauchant en moyenne trois mois après leur installation, ils provoquent une hausse de la demande qui complique encore davantage le recrutement de collaborateurs.
Enfin, les mesures liées à l’accès à de nouvelles structures d’exercice, ont donné lieu à l’émergence de modèles économiques inédits au sein des offices existants. On peut ainsi assister à des transformations, rapprochements entre offices ou encore au développement de l’înterprofessionnalité. Cette mutation de l’environnement notarial demande donc aux offices existants d’adapter leur stratégie, tout comme leur organisation.
Il est cependant important de noter que la Chancellerie, en charge de la validation des demandes de création et des transformations postérieures, veille scrupuleusement à ce que les objectifs de la Loi Macron soient respectés, c’est-à dire que des offices soient créés afin d’offrir une meilleure proximité de services sur tout le territoire. Disposant d’un pouvoir discrétionnaire, elle n’hésite pas à rejeter les dossiers comportant des montages juridiques ne respectant pas l’esprit de la loi. Cette information est indispensable dans la mission de conseil de l’expert-comptable.
En conclusion, la Loi Macron a profondément transformé le monde du notariat qui est en train d’évoluer rapidement afin de s’adapter aux changements de son environnement. Ne pouvant pas jouer sur l’aspect tarifaire de son activité, les tarifs étant majoritairement fixés par décret, elle doit développer d’autres aspects qualitatifs face à une nouvelle génération de clientèle qui se montre bien plus versatile que la précédente. La loi a cependant offert de nouvelles possibilités de développement, permettant à certains modes d’exercices, très peu utilisés jusqu’alors, d’émerger. Tel est le cas de la Société Titulaire d’Offices Notariaux.
L’émergence des STON (Sociétés Titulaires d’Offices Notariaux)
La STON a été instaurée par le décret n°67-868 du 02 octobre 1967. Elle ne constitue donc pas un nouveau modèle, mais était très peu utilisée avant 2016 puisque les créations d’offices étaient marginales, et que les rapprochements de structures existantes n’étaient pas courants.
La Loi Macron a relancé cette forme en offrant la possibilité de créer de nouveaux offices ex nihilo.
Caractéristiques de la STON
Définie comme une société intégrant plusieurs offices autonomes, la STON peut revêtir différentes formes juridiques, allant de la SCP à la SEL.
L’un des points clés de cette structure est la notion de branche complète d’activité, c’est-à-dire « l’ensemble des éléments d’actif et de passif d’une division, d’une société qui constitue, du point de vue de l’organisation, une exploitation autonome, c’est-à-dire un ensemble capable de fonctionner par ses propres moyens ». En effet, chaque office créé doit constituer une branche autonome de la STON. En lien avec cette définition, il est imposé d’affecter un notaire associé par office. Chaque associé est donc rattaché à une étude unique, sans avoir la possibilité d’exercer dans un autre office de la STON,
De plus, la société doit avoir au minimum autant d’associés notaires qu’elle ne détient d’offices. Ces caractéristiques permettent de différencier cette structure d’un bureau annexe. Ce dernier offre la possibilité aux associés d’y exercer tour à tour, sans qu’il n’y ait besoin d’y nommer l’un d’entre eux exclusivement. Ces bureaux doivent cependant veiller à ne pas nuire à la concurrence des autres offices environnants.
Ce critère est surveillé de près par la Chancellerie, en charge de la validation des demandes de créations (toutes structures confondues, donc y compris des bureaux annexes), car il est possible de transformer, sous conditions, un bureau en office à part entière, et inversement Ces opérations faussent en effet les implantations sur le territoire en concentrant la concurrence ou en annulant l’effet des tirages au sort, en fonction du sens de la transformation.
À l’inverse, la Chancellerie accepte les montages sous forme de STON, allant même jusqu’à les conseiller, ce qui que le premier atout de la structure.
Avantages de la STON
– Le développement de la structure : La société accroît sa présence géographique, sa clientèle, ses infrastructures, son champ de compétences, et donc sa valeur.
– Contrer la concurrence : Cette croissance externe lui permet de faire face aux nouveaux entrants post-Loi Macron.
– Sort de l’associé « créateur » : L’associé à la tête du nouvel office reste dans la société, sans avoir à renoncer à la structure qu’il a aidé à développer. De plus, il n’a pas à renoncer à ses revenus de la même façon que s’il était créateur individuel, puisqu’il jouit des fruits des autres offices appartenant à la STON.
– Aide au démarrage : Enfin, la STON pei.met de pallier les besoins de trésorerie de l’office naissant dans sa phase de lancement (notamment en termes de BFR et d’investissement).
Points d’attention à la STON
La gestion d’une structure multi-offices présente également des points d’attention et des contraintes qu’il est nécessaire d’intégrer :
– Complexification de l’organisation : La gouvernance et l’organisation interne de la STON sont plus complexes, et sont à suivre de plus près que dans un office unique. Les relations entre associés-historiques ou entrants sont à réorganiser et les différents services doivent être adaptés aux exigences pratiques et règlementaires de la STON.
– Perte de clientèle : La société devra faire face à une perte potentielle de clients des associés « sortant », car ce dernier ne sera plus présent géographiquement. Ce point est à nuancer puisque la nouvelle génération de clients se montre versatile, et que la profession a fait un effort important de modernisation, à travers notamment de nouveaux moyens de communication à distance. De plus, l’organisation sous forme de STON a pour objectif de développer l’activité de la structure. L’éventuelle perte sera donc rapidement compensée par la clientèle du nouvel office.
– Phase de transition : Pendant la phase de développement du nouvel office, la structure devra pallier une baisse de revenus et de trésorerie, qu’il faudra suivre de près.
– Instabilité législative : Enfin, la promulgation de la Loi Macron étant récente, il n’est pas impossible que de nouvelles règles viennent complexifier le fonctionnement de la STON.
Tous ces éléments ne sont toutefois pas bloquants et sont souvent rattachés à la phase de création du nouvel office. Il s’agit surtout de bien cadrer l’opération dès le départ, en appréhendant correctement les différents impacts de cette transformation. Les avantages dépassent donc nettement les limites de cette structure dont le modèle peut, grâce aux opportunités de la Loi Macron, se développer comme il le mérite.